Ma pratique du comparatisme, entendu comme l’étude des sources littéraires ou comme un repérage des analogies thématiques et formelles des oeuvres, peut dérouter par sa diversité et par son extension, depuis quelques années, à la culture de masse (un certain cinéma, quelques chanteurs pop, parmi les plus influents). Cette diversité m’a permis de vérifier l’universalité du questionnement de Rimbaud ou d’Herman Melville sur les forces mystérieuses qui génèrent la création artistique. Rares sont les poètes qui, comme Damien Dickès, dépassent la seconde hypothèse en reconnaissant sans détour l’origine sacrée d’une harmonie de forme que hante pourtant sa valeur curative à l’égard d’une division de l’être, commune à tous les hommes. En 1996, je n’avais fait qu’apercevoir Damien sur sa chaise roulante dans l’amphi où je faisais cours. La mièvrerie fleurie de son recueil de poèmes (sauf exception en vers) Florilège, découvert par moi-même bien après sa mort, ne va pas sans une force d’âme, que restitue notamment l’agencement adamantin du lexique.
L’étude tardive de l’un de ses poèmes, à l’occasion d’un cours sur les « génies de dix-huit ans », a réveillé en moi le désir de consacrer un ouvrage entier à ces poèmes qui renouent avec les principes de la métaphysique, et qui sont autant de victoires sur les écueils où bute l’esprit de ses augustes prédécesseurs : Baudelaire, à qui sont dédicacés certains de ses poèmes, Rimbaud, et jusqu’aux poètes mystiques, trop freinés par leur enveloppe charnelle ? Ce décryptage m’a été facilité par la leçon de Melville dans Billy Budd ; une leçon qui éclaire aussi bien les oeuvres des génies auxquels je me suis attaché dans d’autres ouvrages (et jusqu’au chanteur Christophe…). J’ai tenu en 2021 à faire partager aux étudiants mon travail sur le Florilège dans une suite de cours, sous l’intitulé « Littérature et culture » : Damien résistant aux ornières qui menacent la « culture » contemporaine.

 

Un exemple de l’art de Damien ? Son poème Paradis alphabétique : 26 petits quatrains, énumère les lettres de l’alphabet. Le rapprochement des quatrains 8 et 16 (lettres H et P) suggère un jeu de mots : en 16 (« P comme Papa »), le mot « Orgue » serait mis pour l’ogre, figuré en 8 par le « Tyrannique père ». Voilà conjurée la contradiction dont je parlais, au profit du sens lyrique (et mystique) de la mesure.

 

Ma recherche toujours en cours ne fait que recreuser ces énigmes, jusque dans les textes de certains artistes pop, que j’ai étudiés dans divers ouvrages. Dans un livre encore à paraître chez Hermann, Rimbaud rusalème, j’ai affiné cette optique.